La promesse unilatérale de vente est un contrat

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Une promesse unilatérale de vente est un contrat pas une simple offre
(Cass Com 15 mars 2023 (n° 21–20.399 publié au bulletin)

Le principe ci-dessus énoncé et figurant dans l’arrêt cité est d’une importance majeure notamment dans les opérations sur le capital des sociétés, puisque les promesses unilatérales de vente de titres sont des outils très communément utilisés ou en tout cas prévus dans les accords de cession, ou encore dans les pactes d’associés.

Dans l’affaire citée, une société qui détenait 100 % des actions de sa filiale, avait cédé à une autre société 47% de ces actions et avait promis par une promesse unilatérale de vente, de lui en céder 13 % supplémentaires, si cette société « levait l’option » ainsi consentie à une date contractuellement prévue (soit dans les 6 mois après l’assemblée générale annuelle de la société cédante (et promettante).

Cette dernière s’étant rétractée avant la levée d’option, la société bénéficiaire de la promesse avait assigné pour obtenir des dommages-intérêts mais également l’exécution forcée de la promesse.

Depuis l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, l’article 1124 du Code civil dispose dans son alinéa 2 que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé aux bénéficiaires pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Cette disposition permet donc clairement au bénéficiaire déçu de venir réclamer l’exécution forcée du contrat (soit la réalisation de la vente de titres promise) pour toutes les promesses unilatérales de vente conclues…. après le 1er octobre 2016 (date entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016).

Au contraire, pour toutes les situations similaires nées de promesses conclues avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, la solution n’était pas du tout la même, elle était même totalement opposée : la Cour de cassation (chambres civile et commerciale) considérait effectivement que la révocation d’une promesse unilatérale de vente par le promettant (effectuée avant que le bénéficiaire ait levé l’option) empêchait la formation du contrat promis (Cass civ 3e 15 décembre 1993 91-10.199, et les arrêts cités dans l’arrêt considéré du 15 mars 2023).

Ainsi, selon cette position, tant que la promesse n’avait pas été acceptée par la levée d’option, elle n’était pas un contrat pouvant faire l’objet d’une exécution forcée mais était simplement une obligation de faire dont l’inexécution donnait seulement lieu à des dommages-intérêts, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Cette position critiquée par la doctrine a été effectivement abandonnée lors de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Cependant une telle volte-face peut poser la question de l''application de la loi dans le temps, pour toutes les situations en cours au moment de la réforme.

En l’espèce, la promesse rétractée avait été consentie le 21 juin 2012, la levée d’option avait eu lieu le 28 juin 2016, après la rétractation du promettant le 8 mars 2016. Ainsi toutes les étapes prévues par les parties avaient eu lieu avant que la réforme soit applicable, même si les procédures judiciaires se sont poursuivies jusqu’en 2023. La cour d’appel dans son arrêt du 6 juillet 2021 concernant cette affaire, appliquant régulièrement le droit antérieur à 2016, avait donc jugé que « la levée d’option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale postérieurement à la rétractation du promettant exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir » et avait ainsi rejeté la demande d’exécution forcée.

Dans l’arrêt de cassation du 15 mars 2023 (n° 21–20.399 publié au bulletin) la chambre commerciale de la Cour de cassation a fait sienne l’évolution engagée en 2021 par la 3e chambre civile (23 juin 2021 n° 20-17.554) et expose d’abord très clairement la position ancienne ( voir ci-dessus) puis le revirement qu’elle opère : «  cependant, à la différence de la simple offre de vente la promesse unilatérale de vente est un contrat, préalable au contrat définitif, qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente (…)».

Ainsi plus aucun doute n’est possible : le principe désormais est que la promesse unilatérale de vente n’a pas nature d’offre mais nature de contrat, et comme tel peut faire le cas échéant l’objet d’une exécution forcée.

De plus la Cour décide que ce principe va s’appliquer aux situations après et avant 2016 : ainsi même si elle ne pas fait référence à l’ordonnance de 2016 (ce qui est au demeurant normal puisque que ce texte n’est pas applicable à l’espèce) et que l’arrêt est donc rendu au visa de l’article 1134 ancien du code civil, la Cour fait néanmoins état  de « l’évolution du droit des obligations » et cite sans le nommer (point 14 de l’arrêt) le principe contenu au nouvel article 1124 al 2 du code civil soit, en substance : la révocation de la promesse n’empêche pas la formation du contrat promis.

Au-delà de cette solution unificatrice opérée par cet arrêt, il faut aussi y remarquer le nouveau style adopté par la Cour de cassation depuis 2019 : exit les arrêts d’une demi page dans lesquels l’emploi d’un conditionnel au lieu d’un imparfait, d’un singulier au lieu d’un pluriel ou encore la présence d’une double négation faisait tout basculer et nous faisait imaginer avoir du génie lorsque l’on avait enfin compris ou cru comprendre ce que voulait dire la juridiction suprême.

Ainsi, dans cet arrêt important, pour expliciter et convaincre de l’intérêt et de la nécessité du revirement, la Cour devenue pédagogue, utilisant une « motivation enrichie », expose sa jurisprudence antérieure, rappelle les apports de l’ordonnance de 2016, souligne l’évolution de la 3ème chambre civile.
Et surtout elle opère le « contrôle de conventionnalité au regard de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » dont le mémento est en libre accès sur son site. Ainsi, pour répondre au moyen que faisait valoir la société cédante, soit une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique, au droit au procès équitable et au droit au respect des biens, tels que garantis par les textes européens (article 6.1 de la convention précitée, article 1er protocole n° 1 à cette convention), la Cour prend d’abord appui sur un catalogue de décisions européennes, puis motive longuement sa décision au regard de ces textes (points 9 à 13 soit la moitié de la motivation de la décision) en allant jusqu’à citer la doctrine.
 
Le but de cette pédagogie est certes de se faire comprendre du justiciable mais aussi de la CEDH laquelle a pu trouver parfois obscure la concision élégante des arrêts de la Cour de Cassation.