Assurance emprunteur : une nouvelle tentative pour briser le « monopole » bancaire

Civil - Immobilier
Affaires - Assurance
28/10/2020
À l’occasion de la discussion de la loi ASAP (loi d’accélération et de simplification de l’action publique), la Commission mixte paritaire a rejeté la possibilité de résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur des prêts immobiliers souscrite auprès des établissements bancaires. Il s’agit de la quatrième tentative en dix ans en vue de libéraliser le marché de l’assurance emprunteur.
Position dominante des établissements de crédit

L’assurance emprunteur désigne une assurance de tout type de prêts, contractés à des fins personnelles ou professionnelles et qui est censée couvrir le créancier contre les risques de décès, d’invalidité, d’incapacité et de chômage du débiteur. En cela, le contrat d’assurance emprunteur est un contrat d'assurance mixte.

L’assurance emprunteur des prêts immobiliers aux particuliers occupe dans cet écosystème des assurances de crédit une place particulière. Estimé à près de sept milliards d’euros, ce marché est lucratif autant qu’il est conflictuel. Mais surtout, il est dominé quasi-exclusivement par les établissements de crédit : en tant que tels, ils imposent aux emprunteurs l’adhésion à l’assurance emprunteur. En effet, dans l’écrasante majorité des cas, l'établissement bancaire impose l’adhésion à une police d'assurance de groupe négociée entre lui et une entreprise d'assurance qui lui appartient (il s’agit donc d’une assurance collective à adhésion facultative).

Cet état de quasi-monopole des organismes de crédit, qui existe en réalité depuis sa création même, n’est pas sans susciter des interrogations de la part des assureurs et associations de défense des consommateurs. Ainsi, a-t-on cru voir, à occasion de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (loi dite Lagarde), le début de la fin du monopole bancaire en matière d’assurance emprunteur (L. n° 2010-737, 1er juil. 2010, JO 2 juil.). Profitant de la crise dite des surprimes, qui a sérieusement affaibli la position des banques, ladite loi a permis aux emprunteurs de recourir à un tiers assureur.

Apport limité de la loi « Lagarde »

Néanmoins, la nouvelle loi n’a remédié que d’une manière très limitée au monopole des établissements de crédit. En effet, selon la nouvelle démarche, une fois que l’emprunteur reçoit une offre d’assurance par la banque, la loi Lagarde lui octroi la possibilité de la refuser et de contracter une assurance emprunteur après d’un tiers assureur. Or, lorsque l’emprunteur communique à la banque le choix de son nouvel assureur, ladite banque peut toujours refuser son prêt car c’est elle qui détermine les garanties minima (garanties supérieures ou équivalentes) de l’assurance pour octroyer le prêt. Cette menace de refus éventuel du prêt par l’établissements de crédit dissuade les clients à recourir aux tiers assureurs. Les statistiques le confirment amplement : dix ans après, 88,46 % des contrats d’assurance emprunteur des prêts immobiliers demeurent toujours entre les mains des établissements de crédit (via leurs propres assureurs).

Et cela alors même que d’autres lois ont libéralisé le marché. Ainsi, la loi Hamon (L. n° 2014-344, 17 mars 2014, JO 18 mars) a permis à l’emprunteur de résilier son assurance de prêt dans l’année suivant la signature du contrat initial. Si la possibilité de résilier le contrat a permis une meilleure négociabilité du TAEA (Taux Annuel Effectif d'Assurance), la condition des garanties supérieures ou équivalentes est toujours en vigueur. Qui plus est, cette loi n’a pas donné aux emprunteurs la faculté de résiliation annuelle, ce qu’est le cas pour certains autres types d’assurance en vertu de l’article L. 113-12 du Code des assurances et notamment assurances mixtes suite à un arrêt de 1987 (Cass. 1re civ., 7 juil. 1987, n°85-14.605).

Immixtion des juges

C’est cette « brèche » que certains plaideurs croyaient pouvoir exploiter pour changer d’assurance emprunteur en cours de contrat. Abondamment commentée, la décision de la cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 1re civ., Sect. A, n° 13/0723) avait semé le trouble en donnant un faux espoir aux emprunteurs pressés de faire des économies sur leurs assurances de prêt.

Celle-ci a estimé que les contrats d’assurance emprunteur, portant en partie sur l’assurance de dommages, étaient soumis l’article L. 113-12 du Code des assurances qui prévoit la possibilité de résilier le contrat d’assurance à l’expiration d’un délai de un an. Néanmoins, ce n’est pas parce que l’on peut qualifier l’assurance emprunteur d’assurance mixte que l’article L. 113-12 du Code des assurances serait applicable. En effet, décider ainsi serait méconnaître les dispositions de l’article L. 141-4, alinéa 5 du Code des assurances selon lequel « les assurances de groupe ayant pour objet la garantie du remboursement d'un emprunt (…) sont régies par des lois spéciales » qui ne traduit en réalité qu’un principe juridique bien connu et ancien « specialia generalibus derogant ».

En outre, l'article L. 113-12 ne concerne que les contrats annuellement reconductibles. Or, le contrat d’assurance emprunteur a une durée ferme car calquée sur la durée du prêt, il y est accessoire (voir notamment Cass. 1re civ., 24 mai 2017, nos 15-27.127 et 15-27.839).

Attendue, la solution de la Cour de cassation en date du 9 mars 2016 a fait primer le principe ci-dessus rappelé selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales (Cass. 1re civ., 9 mars 2016 nos 15-18.899 et 15-19.652).

De l’amendement Bourquin à l’amendement au projet de loi Asap

Ensuite, l’amendement dit Bourquin, en renversant la jurisprudence de la Cour de cassation, instaure un droit de substitution annuelle du contrat d'assurance emprunteur. Concrètement, pour les contrats souscrits à partir du 1er janvier 2018, les emprunteurs peuvent changer d’assurance de prêt immobilier chaque année, à la date d’anniversaire du contrat, dès lors que les garanties du nouveau contrat sont équivalentes. Pourtant la date d’anniversaire n’est pas spontanément communiquée par les assureurs de sorte qu’il est difficile pour l’emprunteur de résilier dans les temps son contrat. En somme, l’amendement a manqué de transparence. Mais surtout, il n’était pas question que le préteur puisse changer d’assureur à tout moment : seule mesure permettant véritablement de libéraliser le marché.

Enfin, dans le cadre du projet de loi Asap, un amendement en ce sens avait été voté par les députés. Mais cette mesure a été retirée en commission mixte paritaire. Le seul apport véritable qui demeure est l’obligation pour l’assureur d’informer les assurés chaque année de leur droit au changement d’assurance.

Il est à noter que l’argument principal pour refuser d’ouvrir efficacement le marché de l’assurance consiste en la protection des emprunteurs, un argument qui n’est pas nouveau par ailleurs. À l’heure de l’élaboration du projet de la loi Hamon déjà, l'Inspection générale des finances avait averti le Gouvernement du risque d'une déstabilisation de la mutualité en cas d’ouverture du marché. Cette démutualisation, renforcée désormais par la montée en puissance des « AssurTech », aurait laissé à la charge des « anciens » assureurs des emprunteurs âgés ou malades présentant des risques plus conséquents.

Selon l’angle de vue choisi, cette longue évolution peut être perçue soit comme un échec de l’ouverture du marché de l’assurance emprunteurs aux courtiers et assureurs, soit comme un avancement prudent pour empêcher la déstabilisation de la mutualité. Il n’en reste pas moins que les établissements de crédit ne veulent pas perdre leur situation de quasi-monopole, quitte à l’empêcher par des moyens déloyaux, comme l’atteste la mise en garde de l’ACPR en date du 3 octobre 2018.
Source : Actualités du droit