Covid-19 et cession de fonds de commerce : une note du ministère fait le point

Affaires - Commercial
21/04/2020
Plusieurs ordonnances et circulaires ont aménagé le droit positif pour faire face à l’état d’urgence sanitaire. Mais en matière de cession de fonds de commerce, les professionnels se posaient encore plusieurs questions, auxquelles une note du ministère de la Justice a répondu, le 14 avril 2020. Une note qui les incite à être réactifs.
Dans la circulaire de présentation de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, le directeur des affaires civiles et du sceau, Jean-François de Montgolfier, avait communiqué deux adresses mails afin d’organiser les remontées sur les difficultés d’application (dacs-c2@justice.gouv.fr pour les questions relatives aux délais dacs-c3@justice.gouv.fr pour les questions relatives à la procédure). Par ce biais et par d’autres, des praticiens ont fait remonter deux incertitudes s’agissant de l’application de ce dispositif au cas précis des cessions de fonds de commerce.
 
Deux problématiques se sont ainsi posées sur la computation des délais :
  • le délai de publicité de la cession d’un fonds de commerce (C. com., art. L. 141-12) ;
  • le délai pour verser le prix de vente entre les mains du vendeur (C. com., art. L. 141-17).
 
Non-respect du délai pour effectuer la publicité pendant la période protégée : prorogation ou non du délai ?
L’article L. 141-12 du Code de commerce prévoit que l’acquéreur d’un fonds de commerce doit procéder à deux publications pour informer les créanciers de la vente et ce, dans les 15 jours de sa date (v. Lamy Droit commercial, n° 636 et s.) :
 - sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel le fonds est exploité,
- au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).
 
L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a-t-il vocation à s’appliquer en cas de non-respect de ces délais ?
 
Non, vient de préciser la Chancellerie : « si la dernière des publicités a lieu plus de quinze jours après la vente du fonds, la seule conséquence est que le point de départ du délai de dix jours octroyé au créancier du vendeur pour faire opposition au versement du prix de vente entre les mains de ce dernier est repoussé d’autant (C. com., art. L. 141-12). En conséquence, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 n’est pas applicable au délai de l’article L. 141-12 du Code de commerce ».
 
Et ce, parce que l’une des conditions d’application de cet article n’est pas remplie.
Rappelons en effet que ses conditions d’application sont les suivantes :
-          ratione materiae : deux conditions cumulatives : le délai pour agir doit être « prescrit » par la loi ou le règlement, « à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque » ;
-          ratione temporae : la période visée : entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.
 
Or, en matière de cession de fonds de commerce, l’article L. 141-13 mentionne certes une nullité, mais celle-ci ne sanctionne pas le non-respect des délais de publicité. Ce qu’elle vise, c’est ou bien l’absence d’enregistrement de l’acte contenant mutation, préalable à la publicité, sauf s'il s'agit d'un acte authentique, ou bien, à défaut d'acte, l’absence de la déclaration prescrite par les articles 638 et 653 du Code général des impôts.
 
Autrement dit, la non-réalisation des formalités de publicité lors de la période d’état d’urgence sanitaire se traduira uniquement par un report du point de départ du délai de dix jours durant lequel les créanciers peuvent faire opposition au versement du prix de vente.
 
 
Prorogation ou non du délai pour verser le prix de vente entre les mains du vendeur ?
Deux articles du Code de commerce sont ici visés  (v. Lamy Baux commerciaux, n°  601-5 et s. ; Lamy Droit commercial, n°  648 et s.) :
  • l’article L. 141-14 du Code de commerce, qui prévoit que « Dans les dix jours suivant la dernière en date des publications prévues à l'article L. 141-12, tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit ou non exigible, peut former au domicile élu, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, opposition au paiement du prix » ;
  • l’article L. 141-17 du même Code, qui dispose que « L'acquéreur qui paie son vendeur sans avoir fait les publications dans les formes prescrites, ou avant l'expiration du délai de dix jours, n'est pas libéré à l'égard des tiers ».
 
Là encore, ce délai n’est pas suspendu, « ce qui signifie d’une part, précise la note du ministère, que le créancier peut faire opposition sans attendre la fin de la période juridiquement protégée, et que d’autre part, l’acquéreur peut verser le prix de vente entre les mains du vendeur dès lors que le délai de dix jours est écoulé ».
 
Partant, le créancier pourra valablement former opposition dans le délai de dix jours après la fin de la période juridiquement protégée, « mais il ne pourra pas récupérer le prix de vente entre les mains de l’acquéreur, ce dernier étant libéré à son égard s’il a payé le vendeur dans le délai de dix jours à compter de la dernière des deux publications de la cession de fonds de commerce ». Les créanciers des cédants des fonds de commerce doivent donc rester vigilants et diligents.
 
 
 
Le dispositif Covid-19 concernant l’aménagement des délais pendant la période protégée se compose  des textes suivants :
- Ord. n° 2020-427, 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de Covid-19 (v. Covid-19 et délais contractuels : une nouvelle ordonnance et d’importantes modifications, Actualités du droit, 16 avr. 2020,  Covid-19 : précisions procédurales en matière familiale, Actualités du droit, 16 avr. 2020) ;
- Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (Covid-19 et contrats : une ordonnance reporte le terme de certaines clauses, Actualités du droit, 1er avr. 2020 ; Covid-19 et ordonnance sur les délais : quelques aspects douaniers, Actualités du droit, 10 avr. 2020 Covid-19 et sûretés : quels impacts ?, Actualités du droit, 9 avr. 2020 Covid-19 : impact sur les autorisations et documents d’urbanisme, Actualités du droit, 1er avr. 2020) ;
Circ. 26 mars 2020, rectifiée le 30 mars, de présentation des dispositions du titre I de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, NOR : JUSC2008608C ;
Circ. 17 avr. 2020, présentation des dispositions du titre I de l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de Covid-19 ; NOR : JUSC2009856C 
Source : Actualités du droit