L’UE va offrir une meilleure protection aux lanceurs d’alerte

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09/10/2019
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont signé le 7 octobre 2019, la directive sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. Les nouvelles règles devraient s’appliquer en droit interne à partir de 2021.
Les lanceurs d’alerte sont à nouveau au cœur de l’actualité. En effet l’un d’entre eux est à l’origine de la procédure de destitution contre Donald Trump. Au même moment, l’Union Européenne adopte une directive pour les protéger contre les représailles. Rappelons tout de même qu’un lanceur d’alerte est une personne qui révèle ou signale, des actes répréhensibles susceptibles de porter atteinte à l’intérêt public.
 
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont considéré qu’ « en signalant des violations du droit de l'Union qui portent atteinte à l'intérêt public, ces personnes agissent en tant que "lanceurs d'alerte" et jouent ainsi un rôle clé dans la révélation et la prévention de ces violations et dans la préservation du bien-être de la société. Cependant, les lanceurs d'alerte potentiels sont souvent dissuadés de signaler leurs inquiétudes ou leurs soupçons par crainte de représailles ».
 
En effet, au sein de l’Union Européenne, la protection des lanceurs d’alerte est fragmentée et bien inégale. Seuls dix pays de l’Union (dont la France depuis la loi Sapin II (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, JO 10 déc.) disposent d’une législation complète en la matière. Les ministres de la Justice des pays membres de l’Union européenne ont, pour faire progresser l’état du droit, adopté une directive le 7 octobre 2019, mettant en place des normes minimales communes afin de garantir une meilleure protection aux lanceurs d’alerte.
 
« Il s'agit notamment, pour cela, de garantir dans toute l'Union un niveau élevé de protection aux lanceurs d'alerte qui ont le courage de parler » a déclaré la ministre finlandaise de la Justice. La directive oblige ainsi les États membres à prévoir des procédures et obligations en matière de signalement et compte bien mettre fin aux représailles contre les lanceurs d’alerte en assurant une protection élevée.
 
Objectif de la directive : des normes minimales communes en matière de protection
L’objectif de cette directive est rappelé dès l’article premier : « renforcer l'application du droit et des politiques de l'Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l'Union ».
 
Quelques définitions (article 5 de la directive)
1."violations", les actes ou omissions qui :
- sont illicites et ont trait aux actes de l'Union et aux domaines relevant du champ d'application matériel visé à l'article 2 ; ou
- vont à l'encontre de l'objet ou de la finalité des règles prévues dans les actes de l'Union et les domaines relevant du champ d'application matériel visé à l'article 2 ;
2. "informations sur des violations", des informations, y compris des soupçons raisonnables, concernant des violations effectives ou potentielles, qui se sont produites ou sont très susceptibles de se produire dans l'organisation dans laquelle l'auteur de signalement travaille ou a travaillé ou dans une autre organisation avec laquelle l'auteur de signalement est ou a été en contact dans le cadre de son travail, et concernant des tentatives de dissimulation de telles violations ;
3. "signalement" ou "signaler", la communication orale ou écrite d'informations sur des violations ;
4. "contexte professionnel", les activités professionnelles passées ou présentes dans le secteur public ou privé par lesquelles, indépendamment de la nature de ces activités, des personnes obtiennent des informations sur des violations et dans le cadre desquelles ces personnes pourraient faire l'objet de représailles si elles signalaient de telles informations ;
5. "personne concernée", une personne physique ou morale qui est mentionnée dans le signalement ou la divulgation publique en tant que personne à laquelle la violation est attribuée ou à laquelle cette personne est associée ;
6. "représailles", tout acte ou omission direct ou indirect qui intervient dans un contexte professionnel, est suscité par un signalement interne ou externe ou une divulgation publique, et qui cause ou peut causer un préjudice injustifié à l'auteur de signalement ;
7. "autorité compétente", toute autorité nationale désignée pour recevoir des signalements conformément au chapitre III et fournir un retour d'informations à l'auteur de signalement, et/ou désignée pour exercer les fonctions prévues par la présente directive, notamment en ce qui concerne le suivi. 

Les champs d’application matériel et personnel élargis
La directive élargit le champ d’application matériel en encadrant la signalisation :
  • des violations relevant du champ d’application des actes de l’Union dans les domaines suivants : marchés publics, services, produits et marchés financiers, prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, sécurité et conformité des produits, sécurité des transports, protection de l’environnement, radioprotection et sûreté nucléaire, sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale, santé et bien-être des animaux, santé publique, protection des consommateurs, protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et sécurité des réseaux et des systèmes d'information ;
  • des violations portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union
  • des violations relatives au marché intérieur.  
Rappelons que jusqu’ici, la protection européenne n’existait que dans un nombre limité de secteurs, essentiellement dans le domaine des services financiers confirme le communiqué de presse du Conseil.
 
Les ministres européens ont aussi étendu le champ d’application personnel. « La présente directive s'applique aux auteurs de signalement travaillant dans le secteur privé ou public qui ont obtenu des informations sur des violations dans un contexte professionnel » précise l’article 4.
 
Sont concernés :
- les personnes ayant le statut de travailleur ;
- les travailleurs indépendants ;
- les actionnaires et les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, dont les membres non exécutifs, les bénévoles et les stagiaires ;
- les personnes travaillant sous la supervision et la direction de contractants, de sous-traitants et de fournisseurs.
Mais seront également protégés :
  • les auteurs de signalement d’informations obtenues dans le cadre d’une relation de travail ayant pris fin ;
  • les auteurs de signalement dont la relation de travail n'a pas encore commencé ;
  • les facilitateurs (personne aidant un auteur de signalement), les tiers en lien avec les auteurs de signalement et les entités juridiques appartenant aux auteurs de signalement ou pour lesquelles ils travaillent, ou encore avec lesquelles ils sont en lien dans un contexte professionnel.
Différents canaux de communication créés
Les lanceurs d’alerte disposent de différents canaux de signalement : interne, externe et public. « Les États membres encouragent le signalement par le biais de canaux de signalement interne avant un signalement par le biais de canaux de signalement externe » précise néanmoins l’article 7 de la directive.
 
Canaux internes – Le signalement interne est défini par la directive comme « la communication orale ou écrite d’informations sur des violations au sein d’une entité juridique du secteur privé ou public ».
Ainsi, les États vont devoir veiller à ce que les entités juridiques établissent des canaux et des procédures pour le signalement interne. Particulièrement les entreprises de plus de 50 employés et les villes d’au moins 10.000 habitants qui devront mettre en place des canaux de signalement effectifs et efficaces.
 
Les canaux internes devront garantir un suivi, notamment, la réception des signalements, la confidentialité de l’identité de l’auteur, un accusé de réception dans les sept jours à compter de la réception, une personne ou un service impartial pour assurer le suivi des signalements et un délai raisonnable ne pouvant excéder trois mois pour fournir un retour d’informations.
 
Canaux externes – Il s’agit de « la communication orale ou écrite d'informations sur des violations aux autorités compétentes ». Les États devront donc établir des canaux de signalement externe « indépendants et autonomes » selon l’article 11, qui devront notamment accuser réception des signalements (oralement, par écrit ou les deux) dans un délai de sept jours, suivre les signalements et fournir un retour d’information dans un délai n’excédant pas trois mois, ou six mois dans certains cas.
 
Divulgation publique – L’article 15 prévoit qu’une personne faisant une divulgation publique, entendue comme la « mise à disposition dans la sphère publique d’informations sur des violations », peut bénéficier de la protection si la personne a d’abord effectué un signalement interne et externe mais aussi si elle a des « motifs raisonnables » de penser que la violation présente un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, s’il existe un risque de représailles ou un risque que la violation ne cesse en cas de signalement externe.
 
Il est précisé que « le présent article ne s'applique pas aux cas dans lesquels une personne révèle directement des informations à la presse en vertu de dispositions nationales spécifiques établissant un système de protection relatif à la liberté d'expression et d'information ».
 
Un devoir de confidentialité imposé
« Les États membres veillent à ce que l'identité de l'auteur de signalement ne soit pas divulguée sans le consentement exprès de celui-ci à toute personne autre que les membres du personnel autorisés compétents pour recevoir des signalements ou pour en assurer le suivi » précise la directive. Avec une exception possible quand il s’agit d’une obligation nécessaire et proportionnée.
 
Des mesures de soutien et de protection en faveur des lanceurs d’alerte
Les lanceurs d’alerte doivent être protégés. Pour ce faire, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire toute forme de représailles qui peuvent notamment consister dans un licenciement, une discrimination, du harcèlement, l’annulation d’un permis ou une orientation vers un traitement psychiatrique ou médical.
 
La directive contient en outre une liste de mesures de soutien pouvant être mises en place, comme un soutien psychologique, des informations et des conseils, une assistance juridique dans le cadre des procédures pénales et civiles mais également une assistance financière.
 
Ainsi, des sanctions devront être prises à l’encontre des personnes physiques ou morales qui :
  • entravent ou tentent d'entraver le signalement ;
  • exercent des représailles ;
  • intentent des procédures abusives ;
  • manquent à l'obligation de préserver la confidentialité de l'identité des auteurs de signalement.
Mais aussi, à l’encontre de personnes ayant sciemment signalé ou divulgué publiquement de fausses informations.
 
Renforcement de la protection des intérêts financiers de l’Union
Cette directive, garantissant un niveau élevé de protection des lanceurs d’alerte, permettrait aussi de protéger le budget de l’Union. Comme il est rappelé dans le communiqué de presse du Conseil européen, la perte due à l’absence de protection contre les représailles, « se situerait entre 5,8 et 9,6 milliards d'euros par an pour l'ensemble de l'UE, dans le seul domaine des marchés publics ».
 
Transposition prévue en droit interne d’ici deux ans
Prochaine étape : la publication de la directive au Journal officiel de l’Union Européenne. Le texte entrera en vigueur vingt jours plus tard.
 
Pour la transposition des dispositions législatives, règlementaires et administratives, la directive prévoit un délai de deux ans après sa date d’entrée en vigueur. Il est également précisé qu’un rapport devra être rendu au Parlement européen et au Conseil, quatre ans après l’entrée en vigueur de la directive, sur sa mise en œuvre et son application.
Source : Actualités du droit