Sophie Jonval et Dieudonné Mpouki : « Avec l’ouverture du Tribunal Digital et la délivrance d’une identité numérique, la justice consulaire vient de franchir une nouvelle étape importante dans la dématérialisation »

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12/04/2019
Le 10 avril dernier était dévoilé le Tribunal Digital, portail d'accès en ligne aux 134 tribunaux de commerce. Son objectif : faciliter l'accès à la justice consulaire pour les chefs d'entreprise. Retour avec Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, et Dieudonné Mpouki, président d'Infogreffe, sur les services désormais accessibles en ligne et les perspectives d'évolution de cette plateforme.
Actualités du droit : Le Tribunal Digital est-il une nouvelle étape dans la dématérialisation des services des greffes des tribunaux de commerce ?
Dieudonné Mpouki : Après avoir développé la digitalisation de la partie extrajudiciaire depuis plus de 10 ans maintenant, très souvent l’on entend dire que l’on ne peut pas immatriculer une société en ligne de bout en bout. Cela n’est pas exact. Depuis 2007, Infogreffe permet l’immatriculation d’une entreprise et la modification de sa création de façon dématérialisée, sur la base d’échanges directs et en temps réel.
 
Aujourd’hui, avec l’ouverture du Tribunal Digital et la délivrance d’une identité numérique qui permet d’y accéder, la justice consulaire vient de franchir une nouvelle étape qui permet de couvrir toutes les démarches qu’un chef d’entreprise peut être amené à effectuer devant les greffes et les tribunaux de commerce. Et ceci afin de répondre à un double impératif du monde des affaires : accélérer les processus et ce, dans un cadre sécurisé, afin que le chef d’entreprise puisse se concentrer sur le développement de son activité. Nous sommes là pour faciliter leurs démarches de façon sécurisée et sereine.
 
ADD : Le Tribunal Digital est-il destiné à encourager les entreprises à saisir la justice plus rapidement (retards et défauts de paiement ?)
Sophie Jonval : L’accessibilité à la juridiction est vraiment le maître mot de ce Tribunal Digital. Ce portail est destiné à offrir une possibilité supplémentaire de saisir le tribunal, qui s’ajoute à la saisine par papier ou au déplacement du justiciable au tribunal. C’est un moyen sécurisé de transmettre une assignation ou une requête.
 
Nous espérons que ce moyen va encourager les chefs d’entreprise à faire ces démarches, notamment en matière de recouvrement de créances. Rappelons qu’en 2017, l’ANCR recensait 56 milliards d’euros de créances non recouvrées.
 
Dieudonné Mpouki : Au quotidien nous constatons que les démarches administratives sont un obstacle pour les chefs d’entreprise. Même l’injonction de payer, mesure phare au demeurant, est touchée par ce phénomène.
 
ADD : Est-ce que des objectifs précis ont été fixés en ce sens (action sur les retards de paiement, volume des défaillances, etc.) ?
Sophie Jonval : Nous n’avons pas d’objectif précis sur ce point. Le Tribunal Digital n’a pas été conçu dans cette finalité. L’idée de départ, est le souhait du Président de la République de voir se créer un parcours numérique de la Justice, et de faire en sorte que les juridictions soient accessibles en ligne.
 
Dieudonné Mpouki : Nous avons besoin d’un peu de recul, nous venons juste de lancer cet outil. Peut-être que d’ici à la fin de l’année, nous pourrons apprécier les résultats. Nous offrons simplement une alternative, car nous savons que les procédures peuvent être complexes et fastidieuses.
 
ADD : Est-ce qu’il y a des ponts prévus entre le Tribunal Digital et Signaux Faibles, l’algorithme développé pour prévenir les défaillances des entreprises ?
Sophie Jonval : Pour l’instant, non, mais nous devons rencontrer Stéphanie Schaer, pilote et initiatrice de la start-up d’État Signaux Faibles (v. Stéphanie Schaer, pilote et initiatrice de la start-up d’État «Signaux Faibles» : « L’algorithme de Signaux Faibles peut réellement contribuer à la préservation d’emplois et à la pérennité d’entreprise, Actualités du droit, 10 avr. 2019).
 
En réalité, Signaux Faibles est plutôt destiné à l’État. De notre côté, nous avons créé notre propre outil de prédiction des difficultés, que nous appelons indicateur de performance. Notre algorithme tourne depuis deux ans sur nos données juridiques, économiques et judiciaires, avec une fiabilité supérieure à 90 %. Il va être mis à la disposition des juges en charge de la prévention des difficultés des entreprises dans les tribunaux de commerce. Mais nous allons rencontrer Stéphanie Schaer pour voir comment nous pouvons travailler ensemble.
 
ADD : Est-ce que le justiciable pourra suivre toute la procédure, jusqu’à une éventuelle décision de justice, sur cette plateforme ?
Sophie Jonval : Le justiciable pourra suivre l’avancement du dossier et ce, jusqu’à la décision.
 
Dieudonné Mpouki : Deux actions principales sont prévues sur le Tribunal Digital. D’une part, saisir le tribunal compétent en fonction de la matière. D’autre part, avoir accès à son dossier. En temps réel, le chef d’entreprise aura l’information sur les dossiers en cours, les dossiers clôturés, les dossiers sauvegardés. 
 
Sophie Jonval : L’arrêté pour signer les décisions de justices des tribunaux de commerce est paru hier au JO (Arr. 9 avr. 2019, NOR : JUST1910066A, relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce). C’est un texte que nous attendions depuis longtemps et qui est l’aboutissement de plusieurs mois de travail. Cela va nous permettre d’améliorer la V1 du Tribunal Digital. Des procédures seront ainsi entièrement dématérialisées, de la saisine à la signature de la décision.
 
ADD : Quelle est la techno derrière l’identification numérique ?
Dieudonné Mpouki : Nous avons développé notre propre brique, sur la base de technologie en open source.
 
En parallèle, nous travaillons avec des interlocuteurs de FranceConnect, un hub qui permet de loger plusieurs identités numériques, avec pour objectif de faire en sorte que notre identité numérique soit accessible via ce hub.
 
L’objectif, bien évidemment, c’est de rendre notre identité numérique interopérable avec les différents services digitaux.
 
ADD : Sur quelles plateformes tierces Monidenum pourrait, à terme, permettre aux chefs d’entreprise et à leurs représentants de s’identifier ?
Dieudonné Mpouki : Le Tribunal Digital, c’est le premier service qui permet de s’identifier grâce à Monidenum. Mais nous travaillons déjà aux prochaines étapes. Ainsi, nous sommes en train de travailler avec d’autres partenaires (banques, collectivités locales, assurance, huissiers, avocats, etc.), qui ont des espaces numériques et qui veulent avoir une certaine sécurité dans l’identification numériques des personnes qui sont amenées à utiliser leurs services.
 
Monidenum permettra ainsi aux chefs d’entreprise d'accéder à différents services digitaux. Les synergies qui vont être mises en place et déployées dans les semaines ou les mois à venir nous permettront donc de déployer Monidenum.
 
ADD : Est-ce que vous réfléchissez à d’autres services accessibles via le Tribunal Digital ?

Dieudonné Mpouki : Nous sommes en train de réfléchir à la mise en place pour les chefs d’entreprise d’un espace personnel sécurisé, dans lequel ils pourraient avoir accès à leur Kbis, leur indicateur de performance, leurs notifications judiciaires, et plus généralement à tout type d'information dématérialisée liée à l’exercice de son métier ou née de l’échange avec ses partenaires, ses fournisseurs, etc.
 
Monidenum sera la porte d’entrée simple et sécurisée de cette communauté de réseau.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit