Licenciements économiques consécutifs au refus de modification des contrats de travail pour motif économique : l’éloge du renoncement

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Formation, emploi et restructurations, IRP et relations collectives
16/02/2018
Par Eva Biotti, avocat, et Guillaume Desmoulin, avocat associé, du cabinet Fromont Briens, l'analyse d'un arrêt du 24 janvier 2018 de la Cour de cassation portant sur la modification du contrat de travail pour un motif économique et la mise en œuvre d’un PSE.
La Cour de cassation précise, dans cet arrêt du 24 janvier 2018, l’interprétation à retenir de l’article L.1233-25 qui dispose que « lorsqu'au moins dix salariés ont refusé la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail, proposée par leur employeur pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique ».
La Haute juridiction retient, pour la première fois, que lorsqu’une modification du contrat de travail fondée sur des raisons économiques est refusée par plus de 10 salariés, l’employeur n’est pas nécessairement amené à engager une procédure de licenciement à leur encontre avec élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Il lui est en effet loisible de modifier son projet de restructuration initial afin que seuls moins de 10 salariés soient concernés par la modification de leur contrat de travail de telle sorte que la procédure de licenciement alors déclenchée ne nécessite pas l’élaboration d’un PSE.
Ce faisant, la Cour fait une interprétation littérale de l’article L.1233-25 du Code du travail en distinguant ses deux conditions d’application cumulatives. D’une part, au moins 10 refus de modification contractuelle doivent avoir été opposés. D’autre part, le licenciement des salariés doit avoir été envisagé par l’employeur dès le stade de la présentation du projet aux élus et aux salariés.

Projet de restructuration à 9 mutations

Dans cette affaire, une entreprise était confrontée à des difficultés économiques qu’elle attribuait à ses locaux inappropriés situés sur le site de Menton. Après prospection, la société est parvenue à prendre à bail de nouveaux locaux sur lesquels elle a envisagé de muter 46 de ses salariés dont 10 via l’application de leur clause de mobilité.
Un avis favorable a été rendu par les instances représentatives du personnel consultées sur le projet de restructuration en décembre 2012. Une mutation a dès lors été proposée aux 36 salariés restants. Parmi ceux-ci, 21 ont refusé, ce qui aurait dû en principe conduire à la mise en œuvre d’un PSE.
Décidant finalement de restreindre son projet de restructuration à 9 mutations, l’employeur a consulté à nouveau les instances sur le projet ainsi revisité et recueilli un nouvel avis favorable du comité d’entreprise.
C’est dans ce contexte que l’un des salariés finalement licencié a saisi la juridiction prud’homale, soutenant que l’employeur aurait dû tirer les conséquences des 21 refus en élaborant un PSE et qu’à défaut, son licenciement était nul ou dénué de cause réelle et sérieuse.

Article 73 de la loi de cohésion sociale

Saisie du litige, la Cour de cassation a jugé que l’employeur n’était pas tenu de mettre en œuvre un PSE en l’espèce. Ainsi, contrairement à ce que soutenait le salarié demandeur au pourvoi, les seuls refus opposés par plus de 10 salariés à la modification de leur contrat de travail proposée en première intention par l’employeur ne signifient pas « implicitement mais nécessairement » que leur licenciement a été envisagé et qu’un PSE doive être élaboré.
Cette décision s’inscrit dans le mouvement initié par l’article 73 de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 qui a mis un terme aux jurisprudences Framatome et Majorette selon lesquelles la seule proposition de modification suffisait à déclencher l’obligation pour l’employeur d’élaborer un PSE [1].
Depuis cette loi, l’élaboration d’un PSE n’est requise que dans l’hypothèse où au moins 10 salariés ont fait part à l’employeur de leur refus exprès de voir leur contrat de travail modifié.
Dans cette lignée, la décision commentée ajoute que le seul refus opposé par au moins 10 salariés est insuffisant à contraindre l’employeur à élaborer un PSE. Encore faut-il que le licenciement des salariés soit envisagé. Il s’agit là de la seconde condition prévue par l’article L. 1233-25 du Code du travail. Cette dernière ne saurait se déduire implicitement de la seule proposition de modification suivie du refus d’au moins 10 salariés. Le fait que l’employeur ait envisagé le licenciement des salariés doit donc être démontré pour entraîner l’obligation d’élaboration d’un PSE.
Tel n’était pas le cas en l’espèce : la première consultation des instances ne portait, selon la Cour, que sur le projet de restructuration et non sur un projet de licenciement d’au moins 10 salariés.

Une décision logique

Cette décision apparaît logique à plusieurs égards. D’une part, elle consacre une lecture stricte de l’article L.1233-25 du Code du travail : la mise en place du PSE suppose que l’employeur qui a proposé les modifications contractuelles se soit non seulement appuyé sur un motif économique mais qu’il ait également envisagé le licenciement des salariés concernés, ce qui ne se déduit pas de la seule existence du projet de restructuration.
Une telle lecture des textes ne soulève pas d’objection en tant que telle mais suppose une particulière précaution de la part des employeurs qui souhaiteraient s’inscrire dans le cadre de cette décision. En effet, la circonstance que l’employeur n’ait pas envisagé des éventuels licenciements en cas de refus semble abolir son pouvoir de licencier, sauf à organiser une nouvelle procédure de consultation.
On notera toutefois qu’en l’espèce, le document qui a été soumis aux instances à l’occasion de la première consultation mentionnait que les salariés qui refuseraient la modification contractuelle seraient concernés par une « éventuelle » mesure de licenciement pour motif économique. Curieusement, cette mention n’a pas empêché la Cour de considérer que la consultation s’était limitée à présenter le projet de restructuration, sans prévoir à ce stade les conséquences des éventuels refus des salariés.
Il n’en demeure pas moins que l’employeur, s’il souhaite bénéficier de cette solution jurisprudentielle et se garder la possibilité de modifier son projet en fonction du nombre de refus opposés, devra à notre sens veiller à ce que le périmètre de la première consultation des instances se limite strictement au projet de réorganisation, sans se prononcer à ce stade sur les conséquences qui seraient tirées des refus des salariés
D’autre part, cette décision apparait cohérente sur le plan du respect des prérogatives des instances représentatives du personnel. En effet, deux consultations distinctes ont bien été organisées, une pour chaque projet de restructuration. La Cour confirme ici qu’un employeur demeure libre de réviser ses projets dès lors qu’il respecte ses obligations en matière d’information et de consultation des instances représentatives.

Par Eva Biotti, avocat, et Guillaume Desmoulin, avocat associé, du cabinet Fromont Briens
 
(1) Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n°95-17352.
Source : Actualités du droit