Intention déclarée de l’appelant de ne plus conclure et cours de la péremption d’instance

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
06/02/2018
Avec la présente décision, la deuxième chambre civile apporte de nouvelles précisions sur la nécessité pour les parties d’être suffisamment diligentes pour éviter la péremption de l’instance dans l’attente de l’avis de fixation.
Dans le cadre d’un contentieux opposant une SARL et un GAEC et son assureur, celle-ci est condamnée en première instance et interjette appel. Toutes les parties ayant conclu et estimant que les demandes adverses n’appelaient plus de réponse de sa part, la SARL demande au président de la formation de jugement, par lettre du 21 juin 2013, la fixation de la date de l’audience de plaidoiries.
Le 26 juin 2015, le GAEC demande au conseiller de la mise en état de constater la péremption de l’instance. Par ordonnance du 13 janvier 2016, le conseiller de la mise en état constate la péremption d’instance en l’absence de toute diligence des parties depuis le 21 juin 2013.

La cour d’appel de Rennes, le 17 mars 2016, rend un arrêt confirmatif. Les juges rennais rappellent d’abord qu’il se déduit des articles 2 et 386 du Code de procédure civile que, sous peine d’être sanctionnées par une péremption de l’instance entraînant l’extinction de l’instance, les parties, notamment l’appelant qui est à l’origine de l’instance, doivent manifester leur intention de la voir progresser, et, ce, tant qu’elles conservent la maîtrise du procès, exigence qui n’est pas remise en cause par l’encombrement éventuel du rôle.
Ils exposent ensuite que les parties ne perdent finalement cette maîtrise et ne sont plus en mesure d’accomplir des diligences utiles à la progression de l’instance, qu’à compter de la date de fixation du calendrier de la clôture et de la plaidoirie et que ce n’est qu’après l’avis de cette fixation par le juge de la mise en état que la péremption ne peut plus être opposée aux parties (comp. Cass. 2e civ., 16 déc. 2016, n° 15-26.083, à paraître ; voir not. Fixation du calendrier de procédure et péremption d’instance, Actualités du droit, 10 janv. 2017).
Or, le seul constat de l’absence de conclusions pendant deux ans depuis la demande de fixation présentée par l’appelant ne permet pas de déduire que l’affaire est en état d’être plaidée, ni que son instruction peut être clôturée. En effet, même en l’absence du calendrier de procédure prévu à l’article 912 du Code de procédure civile, les parties peuvent, jusqu’à l’ordonnance de clôture, conclure à nouveau même pour articuler des moyens nouveaux non soulevés dans leurs premières conclusions d’appel et non suscités par une évolution du litige provoquée par les conclusions adverses signifiées entre-temps, possibilité fréquemment utilisée en pratique à réception de l’avis de fixation (comp. Cass. avis, 21 janv. 2013, n° 12-00.018, Bull. avis, n° 2 ; Cass. 2e civ., 4 juin 2015, n° 14-10.548, Bull. civ. II, n° 140).
Les juges rennais considèrent qu’il en résulte en l’espèce que si la demande de fixation du 21 juin 2013 présentée par l’appelante peut être considérée comme ne diligence interruptive de péremption, celle-ci n’a eu pour effet que de faire courir un nouveau délai de péremption de deux ans qui a pris fin le 21 juin 2015, sans conclusions ni diligences de nature à faire progresser l’affaire, ni même de nouvelle demande de fixation et qu’en conséquence, c’est à bon droit que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance en l’absence de toute diligence des parties depuis le 21 juin 2013.

La SARL forme un pourvoi en cassation. Elle reproche aux juges du fond d’avoir prononcé la péremption de l’instance, alors que celle-ci suppose une inertie des parties due soit à un désistement tacite, soit à une négligence fautive de leur part et que sont incompatibles avec cette double hypothèse, d’une part, la demande d’une partie tendant à obtenir du président de chambre d’une cour d’appel « la clôture et la fixation du dossier », motivée par le fait que les demandes adverses n’appelaient désormais aucune réponse, d’autre part, l’acceptation, par les autres parties, de cette demande de clôture et de fixation. Le prononcé de la péremption en dépit du constat de ce que la lettre de la SARL exprimait sans équivoque sa ferme volonté de voir la procédure menée à son terme pour que l’affaire soit jugée, serait constitutif d’une violation des articles 2 et 386 du Code de procédure civile.
En outre, en faisant droit à la demande de forclusion présentée par le GAEC sans rechercher si, au regard de la lettre adressée à la juridiction, des circonstances nouvelles auraient permis de douter de la position de la SARL de voir la procédure aboutir définitivement, la décision serait privée de base légale.

La Cour de cassation se range à l’appréciation de la cour d’appel de Rennes et énonce :

« qu'après avoir justement retenu que la demande de fixation avait eu pour effet de faire courir à compter du 21 juin 2013 un nouveau délai de péremption, la cour d’appel, qui a constaté que, dans le délai de deux ans expirant le 21 juin 2015, aucune conclusion, aucune diligence de nature à faire progresser l’affaire ni aucune nouvelle demande de fixation n’étaient intervenues, en a exactement déduit, peu important l’intention déclarée de l’appelante de ne plus conclure, que la péremption de l’instance était acquise ».

On rappellera que cette même formation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce type de situations, dans lesquelles le conseiller de la mise en état n’avait pas encore fixé l’affaire. Elle avait d’ailleurs énoncé à cette occasion que « la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l'instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable » et considéré, dès lors, que c’est sans méconnaissance des exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que la péremption de l’instance avait pu être constatée (Cass. 2e civ., 16 déc. 2016, n° 15-27.917, à paraître ; voir not. Fixation du calendrier de procédure et péremption d’instance, Actualités du droit, 10 janv. 2017).
Plus récemment, en s’appuyant sur les décisions précitées de 2016, la Cour de cassation avait dit n’y avoir lieu à avis, faute pour les questions posées d’être nouvelles et de présenter une difficulté sérieuse, lorsqu’il lui était demandé si les parties s’estimant en état de plaider avaient ou non des diligences à accomplir lorsque, d’une part, le conseiller de la mise en état n’avait pas jugé utile de faire procéder à de nouveaux échanges et, d’autre part, que l’avis de fixation intervenait plus de deux ans après les dernières écritures, en raison d’une surcharge du rôle (Cass. avis, 9 janv. 2017, n° 16-70.011, à paraître).
Le procès restant la chose des parties, le dépôt de conclusions récapitulatives ou la réitération de la demande de fixation ou toute autre diligence de nature à faire progresser l’affaire sont donc nécessaires pour éviter la péremption de l’instance jusqu’à l’avis de fixation. Et, ce, quand bien même celui-ci serait délivré assez tardivement en raison de l’encombrement du rôle et/ou, nouvelle pierre à l’édifice apportée par la présente décision, que les parties aient clairement fait connaître leur intention de voir aboutir le jugement de l’affaire.
Source : Actualités du droit