De la liberté pour la tête de réseau de ne pas renouveler le contrat de distribution sélective

Affaires - Droit économique
20/07/2017
Par un arrêt du 8 juin 2017, la Cour de cassation a énoncé qu’une tête de réseau pouvait librement refuser de  renouveler le contrat de distribution sélective d’un de ses distributeurs, sans avoir à motiver de son refus. Analyse par Hugues Villey Desmeserets, associé et François Dauba, collaborateur du cabinet BCTG Avocat.
En l’espèce, une société développant et commercialisant des produits cosmétiques sous une marque notoire avait conclu avec l’exploitant d’une officine de pharmacie un contrat de distribution sélective pour une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation du contrat par l’une ou l’autre des parties. La tête de réseau ayant fait usage de cette faculté de dénonciation annuelle, le pharmacien l’avait assignée devant le Tribunal de commerce de Paris au motif que le distributeur d’un réseau de distribution sélective bénéficierait d’un droit au renouvellement de son contrat aussi longtemps qu’il remplit les critères de sélectivité. Le pharmacien fondait son argumentation sur les articles L.420-1 du Code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).

Dans sa décision du 8 juin 2017, la Cour de cassation rejette les demandes du distributeur et valide le raisonnement qui avait été développé par les juridictions de première instance et d’appel. La Cour de cassation, qui distingue la résiliation du contrat de distribution sélective de son non-renouvellement ajoute que la tête de réseau n’a pas à motiver sa décision de non-renouvellement, le respect ou non des conditions d’agrément par le distributeur étant un argument inopérant. Elle précise néanmoins que le non-renouvellement du contrat de distribution sélective peut être source de responsabilité lorsque les circonstances qui l’entourent revêtent un caractère abusif.
 
  1. Si cette décision constitue un revirement de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, elle vient confirmer la solution initialement retenue par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire et vient également conforter la jurisprudence récente des juges du fond qui s’est développée suite à l’abrogation de l’interdiction du refus de vente et des pratiques discriminatoires entre professionnels.
En effet, sur le fondement de l’ordonnance du 1er décembre 1986 – qui prévoyait une interdiction per se du refus de vente entre professionnels – la Cour de cassation considérait auparavant que :
  • la tête de réseau est tenue de faire connaître les motifs concrets de son refus d’agrément[1];
  • prive sa décision de base légale la Cour d’appel qui n’a pas constaté que le distributeur ne remplissait plus les conditions d’agrément[2].
Toutefois, la loi du 1er juillet 1996 (loi Galland) a supprimé le principe de l’interdiction du refus de vente entre professionnels tandis que la loi du 4 août 2008 (loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie) a mis fin à l’interdiction des pratiques discriminatoires, ces dernières ne constituant plus, en elles-mêmes, une faute civile.

Au regard de ce nouvel environnement législatif, les juges du fond avaient, dès avant l’arrêt rendu le 8 juin 2017, déjà consacré la liberté contractuelle dont bénéficie le fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective lorsqu’il décide de ne pas renouveler l’agrément de ses distributeurs :
  • la Cour d’appel de Paris avait indiqué que « le renouvellement des contrats [de distribution sélective] ne constitue pas un droit »[3] ;
  • Le Tribunal de Grande instance de Paris a jugé que le fournisseur n’avait fait « qu’user d’un droit reconnu à toute partie qui désire mettre fin à des relations, qu’elles soient ou non commerciales, de ne pas les poursuivre au-delà du terme convenu avec son cocontractant, lequel terme revêt un effet extinctif » dans la mesure où « les distributeurs sélectifs ne jouissent pas d’un droit spécifique au renouvellement de leurs contrats tant qu’ils respectent les critères objectifs définis par la tête de réseau dans le contrat initial »[4].
 
  1. La décision de la Cour de cassation du 8 juin 2017 consacre donc l’étendue de la liberté contractuelle dont bénéficie le fournisseur dans le cadre de l’organisation de son réseau de distribution sélective et ce, même lorsque le distributeur remplit les conditions d’agrément.
Alors que le distributeur invoquait l’interdiction pour le fournisseur, sur le fondement des articles 101 TFUE et L.420-1 du Code de commerce, de refuser le renouvellement du contrat à l’un de ses distributeurs dès lors que ce dernier remplissait les conditions d’agrément, la Cour de cassation indique que :
  • la tête de réseau qui a respecté les conditions contractuellement fixées pour dénoncer le contrat, n’a pas à motiver sa décision de non-renouvellement ;
  • le fournisseur ne peut être condamné à livrer le distributeur aux conditions contractuelles habituelles dans la mesure où le contrat a pris fin ;
  • la condition de la conformité du non-renouvellement au droit de la concurrence est inopérante dans la mesure où les dispositions des articles 101 TFUE et L.420-1 du Code de commerce régissent les conditions d’agrément du distributeur et non les conditions du non-renouvellement du contrat de distribution sélective.
  • sauf abus de droit, nul n’est tenu de renouveler le contrat de distribution sélective venu à son terme.
La Cour de cassation prévoit donc de limiter son contrôle de la validité du non-renouvellement des contrats de distribution sélective à l’existence éventuelle d’un abus de droit de la part du fournisseur
 
En conclusion, l’arrêt de la Cour de cassation ici commenté clarifie et sécurise les droits des têtes de réseaux de distribution sélective dans le choix de ne pas renouveler leurs distributeurs. Si cette décision confirme la liberté dont bénéficient les fournisseurs, elle ne doit toutefois pas occulter la nécessité pour ces derniers de ne pas faire dégénérer cette liberté en abus.

Par Hugues Villey Desmeserets, associé et François Dauba, collaborateur du cabinet BCTG Avocat.
 
 
[1] Cass, Com., 23 février 1993, n°90-19.953
[2] Cass., Com, 14 janvier 2003, Sté O’Dylia c/ Sté Lancôme, n°99-14.198
[3] CA Paris, 2 nov. 2011, n°09/15203
[4] TGI Paris, 5 juillet 2016, RG n°15/10622
Source : Actualités du droit