Assurance dommages-ouvrage et déclaration de sinistre : revirement de jurisprudence

Civil - Immobilier
Affaires - Assurance
08/10/2021
Dans un arrêt destiné à une large diffusion, la Cour de cassation précise que désormais l’assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai de soixante jours à toute déclaration de sinistre, même lorsqu’il estime que les désordres sont identiques à ceux précédemment dénoncés de sorte qu’il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date de la seconde déclaration.
Faits et solution

En l’espèce, le 21 mars 2008 un contrat de construction de maison individuelle a été conclu entre deux particuliers, les maîtres de l'ouvrage, et la société « Cavelier & fils », l’entrepreneur. Ce dernier a souscrit auprès de la société Axa France IARD une assurance dommages-ouvrage pour le compte des maîtres de l'ouvrage.

Des malfaçons étant constatées par les maîtres de l'ouvrage, ils assignent l’entrepreneur en résiliation du contrat à ses torts exclusifs et en indemnisation de leurs préjudices tout en appelant en intervention forcée la société Axa, l’assureur.

Il est à noter que deux déclarations de sinistre ont été adressées à l’assureur : à la suite de la première, datée du 17 avril 2009, une expertise a été organisée sur les lieux du chantier. L’assureur soutenait que cette désignation d'expert, portée à la connaissance des maîtres de l'ouvrage le 15 juillet 2009, avait fait courir un nouveau délai de prescription expirant le 15 juillet 2011 et puisque lesdits maîtres d’ouvrage n'avaient accompli aucun acte interruptif, leur demande en garantie ne pouvait être que rejetée. Tranchant en ce sens le 21 novembre 2016, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est ensuite censuré par la Cour de cassation au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, les juges d’appel ayant omis de: « répondre aux conclusions de M. et Mme X... qui soutenaient avoir procédé à une [deuxième] déclaration de sinistre le 29 décembre 2012 en invoquant des désordres différents de ceux ayant fait l'objet de la première déclaration, sur laquelle la société Axa n'avait pas pris position dans le délai de soixante jours » (Cass. 3e civ., 24 mai 2018, n° 17-11.427). L’affaire est renvoyée devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée.

La juridiction de renvoi par un arrêt en date du 19 février 2020 déclare irrecevables les demandes des maitres de l’ouvrage, aux motifs que « les désordres qui font l’objet de la seconde déclaration de sinistre du 29 décembre 2012 sont exactement identiques à ceux qui ont été dénoncés par la première déclaration de sinistre du 17 avril 2009 et pour lesquels les maîtres de l’ouvrage sont prescrits, pour n’avoir pas introduit leur action dans le nouveau délai de prescription biennale ayant couru à la suite de cette première déclaration et de la désignation d’un expert par l’assureur ».

La question qui s’est ainsi posée devant la Cour de cassation était de savoir si pour toute déclaration de sinistre pour laquelle l’assureur n’a pas répondu dans un délai de soixante jours, même lorsqu’elle comporte les désordres identiques à ceux précédemment dénoncés, fait perdre audit assureur le bénéfice de la prescription biennale prévue à l’article L. 114-1 du Code des assurances.

En répondant par l’affirmative, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 242-1, alinéas 3 et 5 du Code des assurances. Elle en rappelle d’abord les dispositions qui y sont contenues : en effet, « l'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat. Lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal ». Les hauts magistrats annoncent ensuite le cœur de leur solution : « il en résulte que l'assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai de soixante jours à toute déclaration de sinistre, y compris lorsqu'il estime que les désordres sont identiques à ceux précédemment dénoncés et que, à défaut, il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date de la seconde déclaration ».

Éléments d’analyse

L’article L. 242-1 du Code des assurances oblige l’assureur à répondre dans un délai de 60 jours à compter de la réception de la déclaration du sinistre de l’assuré : le cas échéant, le silence de l’assureur emporte l’obtention de la garantie de sorte que l’assureur ne peut plus la contester et l’indemnité est majorée de plein droit d’un intérêt au double du taux de l’intérêt légal. En outre, l’article L. 114-1 du Code des assurances dispose que « toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans ». Plus particulièrement en assurance dommages-ouvrage, ce délai court à compter du 61ème jour du moment de la déclaration de sinistre.

Or, si l’assureur ne respecte pas ce délai, peut-il encore opposer à l’assuré la prescription biennale ? Dans sa jurisprudence antérieure, la troisième chambre civile ne privait pas l’assureur du droit de l'invoquer même s’il ne respectait pas ce délai (décision de principe : Cass. 1re civ., 4 mars 1997, n° 95-10.045 ; confirmation : Cass. 3e civ., 20 juin 2012, n° 11-14.969 ; Cass. 1re civ., 23 sept. 2014, n° 13-20.696).

Qui plus est, les solutions jurisprudentielles passées ne permettaient pas au maître d’ouvrage d’invoquer une autre déclaration de sinistre, postérieure et identique à la précédente (Cass. 3e civ., 10 oct. 2012, n° 11-17.496) : il est dans ce cas forclos à demander la prise en charge à l’assureur. Sauf à considérer un arrêt isolé du 26 novembre 2003 (Cass. 3e civ., 26 nov. 2003, no 01-12.469). Dans cette affaire, à la suite d’une déclaration de sinistre réalisée en 1993, l’assureur dénie sa garantie tout en indiquant dans sa lettre de refus « qu'il ne manquerait pas de tenir la SCI [l’assuré] au courant de la suite réservée à l'affaire ». Ensuite, une deuxième déclaration de sinistre intervient en 1996 visant « les mêmes désordres que ceux qui avaient fait l'objet d'une expertise en 1992 et avaient abouti à une déclaration de sinistre en 1993 » : ce qui justifie pour les juges d’appel d’écarter les demandes de la SCI. Cet arrêt est cassé au visa de l’article L. 242-1 précité en ces termes « qu'en statuant ainsi, alors que l'assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai légal à toute déclaration de sinistre, et que, faute de le faire, il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d'expiration de ce délai ». L’arrêt vise bien « toute » déclaration.

Le présent arrêt incite donc l’assureur à donner une réponse à toute déclaration de sinistre, y compris lorsque celle-ci lui semble identique à la déclaration précédente. En cela, la solution apportée constitue un revirement de jurisprudence.
 
Source : Actualités du droit